Dans les artères animées de Kinshasa, où se mêlent klaxons, cris de vendeurs et vibrations de téléphones, un commerce florissant s’impose comme l’un des moteurs de l’économie urbaine : celui du téléphone portable. Neuf, d’occasion, contrefait ou réparé de manière artisanale, le téléphone est devenu bien plus qu’un simple outil de communication : c’est un symbole d’ascension sociale, un sésame pour rester connecté au monde, et un gagne-pain pour des milliers de Kinois.
Aux abords de l’immeuble Botour, situé dans la commune de la Gombe — tour emblématique du commerce électronique informel — ou sur la célèbre place Koweït, dans la commune de Kalamu, le spectacle est quotidien : des étals débordant de coques multicolores, des écrans brillants exposés sous le soleil, des jeunes affairés à ressusciter des appareils défectueux avec une agilité étonnante. Ici, tout se vend, tout s’achète, tout se transforme.

Mais derrière ce dynamisme apparent se cache une réalité plus contrastée. Le boom du téléphone à Kinshasa repose sur des logiques informelles, parfois risquées, où la contrefaçon côtoie l’ingéniosité, et où la débrouille rivalise avec l’absence de protection des consommateurs. À l’intersection de la résilience économique et des dérives du marché gris, cette économie parallèle mérite d’être examinée de plus près.
Un marché en pleine explosion
La vente, la réparation et la revente de téléphones sont devenues des activités majeures dans la capitale congolaise. Portées par une forte demande, une jeunesse avide de connectivité, et l’impossibilité pour beaucoup d’accéder aux boutiques officielles, ces activités représentent aujourd’hui un débouché économique essentiel pour des milliers de Kinois.
« Je peux vendre jusqu'à dix téléphones par jour, surtout le week-end », confie Fabrice, 28 ans, vendeur depuis cinq ans à Botour. « Les gens veulent du bon marché. Un téléphone à 50 dollars, même reconditionné ou d’une ancienne marque, ça part vite. »
La face cachée du boom
Mais derrière ce tableau d’un commerce en plein essor se cache une réalité plus nuancée. Une large partie des téléphones vendus sont contrefaits ou issus de circuits opaques. Les modèles proposés sont souvent des copies de marques célèbres ou des appareils récupérés, bricolés à la va-vite et revendus comme neufs.
Les accessoires — chargeurs, écouteurs, batteries... — posent également problème. Souvent non certifiés, ils présentent des risques de dysfonctionnement, voire de sécurité.
« J’ai acheté un chargeur ici il y a deux mois. Mon téléphone a grillé », témoigne Mireille, une étudiante de 22 ans. « Quand je suis revenue, le vendeur a nié. J’ai tout perdu. » Son regard se perd un instant. « Je voulais juste économiser. »
Le secteur est aussi marqué par une forte informalité. Peu d’acteurs sont enregistrés, aucun contrôle systématique n’est effectué sur la qualité des produits, et les garanties sont quasiment inexistantes. Pourtant, les autorités ferment souvent les yeux, conscientes que cette économie fait vivre des milliers de familles.
« On nous appelle vendeurs de faux, mais nous, on vit avec ça », lâche Junior, un réparateur à Koweït. « Donne-moi un atelier bien équipé, une formation et un emploi fixe, et je change demain. Mais là, je fais ce que je peux pour survivre. »
Un équilibre à trouver
Le commerce du téléphone à Kinshasa révèle une double vérité : d’un côté, une capacité d’adaptation et une énergie économique indéniables ; de l’autre, un manque de régulation qui pénalise les consommateurs et freine la structuration du secteur.
À l’heure où la RDC ambitionne une modernisation numérique et une inclusion technologique accrues, le défi est clair : encadrer sans étouffer, valoriser sans cautionner l’illégalité. Et surtout, donner à cette jeunesse les moyens de transformer leur débrouille en véritables opportunités durables.
Lovic-Benjamin Nsapu